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12 mars 2010 5 12 /03 /mars /2010 14:54

 

 

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Évidemment on s’y attend pas. Cela commence par de petits coups sous les pieds, le clavier de l’ordinateur frémit comme s’il s’éveillait à une vie nouvelle. Puis tout ce met à grincer, à bouger, comme si, enfin, ces jeux de tables tournantes et d’appels aux esprits baladeurs qui occupaient nos nuits d’enfance, se réalisaient soudain quoiqu’avec bien du retard.

Mais les tables et les fenêtres bougent trop pour qu’on ait longtemps envie de jouer, le plafond et la chaise aussi, le mouvement de rotation est précis dans la colonne vertébrale autant que les cliquetis des lustres. Des chiens couinent dehors, et puisque cela dure on peut se demander quoi faire, sortir ou demeurer, si cela va empirer ou se calmer ?

Histoire de se sentir courageux, on regarde passer le temps sur l’horloge de l’écran. Bientôt trois minutes, ce qui ne rassure pas plus.

Et puis voilà c’est fini.

Le plus étrange des silences. On se rend compte seulement que l’on a entendu pendant deux trois minutes le grondement de la terre. Un murmure qui ne se perçoit pas avec les oreilles mais plutôt les os.

Ça reviendra deux fois, avec plus de légèreté. On sourira.

Celle qui se sourit véritablement, c’est Maria, la belle logeuse. Il n’était pas mal celui-là, dit-elle, allumant déjà la radio pour avoir des nouvelles qui jaillissent aussitôt : 7.2 sur la fameuse échelle, quelque part dans la mer, au sud. C’est encore le sud qui prend, soupire Maria. Mais vous n’avez pas senti, il y en a eu toutes ces nuits dernières, des petits ? Ben non, on avait dormi d’un sommeil d’Européen certain de son plancher des vaches.

Maria rigole. C’est si souvent chez nous, dit-elle. Et nos vieilles maisons sont bien accoutumées à ça. Ce qui a l’air vrai. Seuls les lustres s’obstinent à se prendre pour des pendules.

Mais la radio a aussi lancé une alerte au tsunami. La dernière fut une histoire foireuse, les militaires, qui devraient pourtant se faire un peu aimer par ici, l’avait annulée. La Vague était venue et lIMG_2097.JPGe malheur avec.

 

Donc en dix minutes, Cerro Alegre, comme toutes les collines, se couvre de mondes, chacun galopant dans les escaleras en tenues de boulots, uniformes et cravates. Venez dit Maria, on va voir à quoi ça ressemble.

 

Finalement ça va ressembler à une sorte de jour de fête. Tout ce monde rigolant, chauffant les mobiles aux oreilles, content d’en avoir fini avec le turbin, ayant des regards d’enfants qui viennent de se faire offrir d’inattendues vancances.

Et puisqu’on est aussi le jour de la passation de pouvoir entre la « Mama Bachelet » et « Berlusconi « chilien, ça ne traîne pas. Tiens, même la terre lui dit qu’on l’a à l’œil celui-là, se marre Maria. Il promet déjà des tsunamis qui n’arrivent pas.
 
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Et l’après-midi, pour parachever cette fête bizarre, les magasins sont fermés, les rues désertes, à l’exception des chiens errants et des touristes, qui se sont réveillés un peu décalés.

 

 

 

 

 

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11 mars 2010 4 11 /03 /mars /2010 01:48


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Donc les chiens roupilleurs, des chauffeurs de bus qui se prennent pour des « toros al rincon », (deux piétons de chute en deux jours à portée de vue), des fils dans le ciel, de la poussière, des rues qui montent et ne descendent jamais, comme à Paramaribo, des mollets en feu, des filles avec des sourires fins, des empenadas de marisco, des touristes essoufflés, une douceur, le frais du soir, le vide du soir, un ciel où les étoiles sont éparpillées, un peu étrangères à nos animaux préférés, des peintures de murs qui s’éteignent comme les souvenirs des chansons de bal et, bien sûr, des maisons aux façades de tôles devenues couleurs.
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Rien de riche, de la pauvreté qui monte sur les collines, mais avec cette longue habitude qui est aussi un savoir faire, un tournemain pour tirer le diable par sa queue bifide et en joindre les deux bouts, si bien que l’on pourrait croire qu’il y consent.

 

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Et, puisqu'on est ici, au Chili, on lit des nouvelles de Bolaño en buvant la robe noire du Château Los Boldos, « Reserva Momentos ». C’est le moins qu’on puisse faire. Des nouvelles qui bien sûr se situe en France, Espagne et surtout pas au Chili. Une petite série cruelle : Sensini, Henri Simon Leprince, Enrique Martin, Une aventure littéraire.
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Elles jouent avec ce que l’on ose peu regarder en face : l’échec, le ratage, la mégalomanie, la bêtise de l’obstination de notre volonté d’écriture. La hantise de la médiocrité, surtout. N’être qu’une aventure grotesque, un peu répugnante aux côtés de la cage aux fauves et, en conséquence, les milles et une manières de s’en accomoder, d’être son propre clown et rarement en convenir : « Je suis adulte, j’ai compris que pour jouir de l’art, point n’est besoin de se couvrir de ridicule, point n’est besoin d’écrire ni de ramper. » (in Enrique Martin).

Citati suggère qu’il ne peut y avoir de grand romanesque sans que la descente aux enfers, la déconstruction des certitudes et des apparences, ne soit soutenue par une rigolade, que les vérités du mal ne dévoilant pas autrement qu’avec un humour cruel. Suis assez enclin de le croire.

Bolaño possède ce scalpel moqueur. Le miroir est rieur, fabuleusement ambigu (bien que l’on ne doute jamais de ce que l’on entende). Au bout du compte on ne sait s’il s’exorcise lui-même, s’il ne serait pas trop arrogant de sa hauteur atteinte ou supposée, ou encore provoquant le précipice sous le fil, laissant monter le soufflé grotesque de «l’ écrivain raté, du plumitif, du rancunier… » comme Flaubert laisse parler Léon .

Henri Simon Leprince joue sur l’idée de la “résistance“ (celle de la seconde Guerre mondiale et la symbolique), grand thème métaphorique et rebattu de la littérature française dite pure et dure. Je n’ai pu m’empêcher de penser, la lisant, à cette affirmation de Bergounioux qui avait fait titre quelque part (dans un numéro de Le Matricule des Anges ?): la “Littérature“ devait être de Résistance où ne pas être. Menace définitivement matelassée d’arrogance autant que d‘œillères, que l’on devrait éviter quelque soit celui qui la prononce, comme tous les exercices de ce genre. Et ainsi s’achève la nouvelle : « Sa présence, sa fragilité, son épouvantable souveraineté servent à certains d’entre eux de stimulant et de rappel. »

La quatrième nouvelles, Une aventure littéraire, est la plus vicieuse, la plus magique et tendre aussi à sa manière, mais allez voir vous-même si ce n’est déjà fait, c’est pur délice,  7 € chez Bourgois, ça s’appelle Appels Téléphoniques.
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(Photo de Roberto Bolño,src " 3bp.blog.Spot".)

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9 mars 2010 2 09 /03 /mars /2010 15:51

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Valparaiso est une ville de grands vents du soir et de chiens errants qui dorment en bandes de copains crasseux, avec des tendresses de bonne compagnie, s’attendant mutuellement aux caprices de leurs vaticinations, se stimulant dans la vadrouille à petits coups de hanches ou d’épaules si expressifs qu’on ne se serait pas surpris de les voir aller en s’enlaçant d’une patte à l’épaule.

Mais avant de parler de Valpo, j’ai besoin de rester encore un peu avec le Cap Pasado. Me suis réveillé hier dans un lit douillet de plus de 80 centimètres de large et beaucoup de silence. Assez pour entendre une rumeur de mauvaise conscience. La sensation bizarre d’avoir lâché ces types dans leur prison après y avoir fait une visite de danseuse.

 

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C’est sans ambiguïté : ces cargos sont des machines d’esclavage.

Le bateau lui-même est un monstre où l’homme n’a jamais sa place autrement qu’en guise d’outil malléable. Tout est fait pour les divins containers de 30T pièce. Le seul contact avec la ferraille est une violence permanente, un rejet brutal des chairs et des os, une menace vicieuse qui chasse l’inattention aux quatre coins des coursives.

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Le vacarme (plus de 140db au cœur du bateau) oblige à porter des casques réducteurs de bruit en permanence pour ceux qui travaillent dans les cinq étages (!) de la salle de machines (entre 35° et 40°C). Un bruit qui se répand d’un bout à l’autre du château (la partie de vie). Une tour qui culmine à 17 m au dessus pont de réception. Un grondement qui ne vous quitte pas une seule seconde, même lorsque l’on met en panne pour un ancrage ou une mise à quai. Alors, les générateurs (trois) tournent encore et les deux énormes soufflet d’extraction d’air conditionné produisent une gueulante aigre qui devient assourdissante. Le seul espace de calme est la proue, à deux cents mètres du cœur de propulsion. L’équipage ne s’y tient que pour les amarrages et les passagers pour se souvenir de quoi est fait le silence.

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L’équipage philippin, entre 22 et 40 ans mais la plupart très jeunes, s’engage avec des contrats de huit à dix mois. Les heures de travail « officielles » vont de sept heures et de demi du mat., jusqu’à cinq heures et demi du soir avec une interruption d’une demie heure pour le déjeuner, cela six jours sur sept, le dimanche étant un repos.

Ce compte est artificiel. En fait, sur un mois, il n’y a guère qu’une dizaine journées qui le respecte. Le reste du temps, ces types bossent à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, soit parce que le gros temps le réclame, soit parce qu’il faut entrer ou sortir d’un port. Cela peut aussi bien se faire à sept heures du soir ou quatre heures du matin. Toutes les taches sont lourdes, pénibles et souvent dangereuses, rien n’est plus simple que de passer par-dessus bord en toute discrétion. Il faut en permanence maintenir le bateau clean, dessaler les « deck », les nettoyer au détergent des scories de mazout calciné qui en font des patinoires. Allez laver à grands jets et à la brosse des ponts de ferraille quand les creux font dix mètres et la gîte prend cinq à sept mètres !

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La nourriture est immonde (le Master n’y est pour rien, la Compagnie pour tout). Du riz, des patates en alternance perpétuelle, du poulet industriel, de la dinde en béton, le vendredi du poisson congelé depuis si longtemps que l’on ne savait pas s’il avait été un jour une chair vivante, un fruit, pomme ou banane, par semaine ! Les petit-dej sont des œufs et des œufs et des œufs, nageant dans la graisse chaude du corned – beaf. Les portions feraient gueuler dans une cantine du 9.3. Le café fait passer le jus de chaussette pour un nectar. Le cuistot accomplit des miracles pour que l’apparence y soit mais, comme disait un chansonnier des années soixante : « À le voir venir on pensait que c’était de la merde, à le goûter on regretta que ça ne le fût pas ».

Les cabines sont de bonnes cellules de prison, borgnes pour les trois quarts, où l’on ne sait où se tenir sans se brutaliser et si vous vous appuyez contre une cloison, les vibrations des machines vous secouent les tripes.
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Pour ce boulot infernal et cette vie sans âme, loin des famille et de la moindre tendresse humaine, les salaires des Philippins sont de 800 à 900 $US par mois (jamais de primes ou d’heures sup !). Si un type descend et quitte le navire, il perdra le billet gratuit de retour chez lui qu’il obtient à la fin de son contrat (environ 1400$). Ils sont évidemment soumis aux capitaines 24h sur 24. Les officiers, Russes ou Ukrainiens (4 à 6 mois de contrat et des salaires que je n’ai pu demander mais qui ne semblent s’étager de 1500€ à 2500€, sauf peut-être pour le Master), tout en étant corrects, n’ont aucun autre rapport avec les esclaves que ceux des ordres de labeur. Certains n’échangent pas même un mot. Le 3° officier de pont est Philippin lui-même (payé 40 % de moins que les Russes) et simplifie les problèmes de langue : Russes et Ukrainiens parlant très mal l’anglais alors que les Philippins y sont à l’aise !

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Un cargo est une obsession de vitesse (time is money) et une permanente lenteur. L’approche d’un port est interminable, entrecoupée d’attentes et de contrordres soumis à la venue du "pilot". Pour effacer ces pertes de temps, les armateurs imposent des stations minimales (trois, quatre heures au plus) pour les chargement et déchargement qui transforment les docks en un grouillement de fourmilière. Neuf fois sur dix, les hommes ne peuvent mettre pieds à terre (les Philippins ne le feraient pas, de toute façon, par peur de dépenser le moindre argent). Les temps morts sont aussitôt occupés par les exercices de sécurité. En mer, afin de rattraper ces retards, le rythme devient dément : une moyenne de vingt nœuds quelque soit les conditions. Si bien que même par temps très calme, comme dans les Caraïbes ou le Pacifique des tropiques, le mouvement de houle demeure. Les dizaines de milliers de tonnes acquièrent un lent mouvement de balançoire que l’on oublie jusqu’à ce que l’océan se durcisse.
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Dès que la mer devient méchante, le bateau ne ralentit pas, tape comme un train dans un tunnel pas encore creusé. Le mouvement se mue en un combat où les tâches rendent les muscles durs à force de chercher l’équilibre. Nous avons connu en Atlantique le début de la tempête qui a ravagé la Vendée. Pour les marins, elle était douce, "Nothing, nothing" disait le cap’tain avec une rigolade de vieux singe. J’avais le plus grand mal à me tenir debout, on gigotait sur le lit en perdant vue la page de son bouquin et il fallait tenir son assiette pour éviter qu’elle joue à la balle folle avec celle des voisins. Le soir, les types ont des gueules livides (le Boss aussi), les veilles sont inépuisables, tout le monde dort mal, personne ne récupère. Il faut le Canal de Panama pour que les traits et l’humeur se détendent.

 

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Les Philippins rêvent d’une école de navigation où ils prendraient du grade et ne seraient plus les loufiats de l’Occident. Les compagnies (Allemandes ici) qui font un bénéfice substantiel sur ces transports, en proposent en Allemagne, avançant le prix de ces études qui sera retranché du premier contrat obtenu à la suite… Les Philippins veulent créer une école à Manille, avec des coûts moindres. Les Compagnies s’y refusent et menacent de ne pas les reconnaître, histoire de ne pas perdre cet argent de poche !

Là-dessus l‘armateur du Cap Pasado (et de toute la flotte desservant les lignes « Hambourg Sud »), s'avère être une grande famille Hambourgeoise du 19° siècle et fièrement collectionneuse depuis le début du vingtième de peintures et tout spécialement de Picasso. Des reproductions manière Montmartre en ornent grotesquement la cantine (dite salle à manger), ce qui donne juste envie de poser les pinceaux.

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 Donc voilà, qu’on se le dise : encore et encore, notre monde de libre-échanges, d’obsession de production, nos croissances d’exportations, nos boulimies d’objets globalisant, nos vies quotidiennes, nos slips, nos voitures et nos grille-pain toujours plus super et venus d’outre monde, ne nous parviennent pas seulement par l’esclavage des caissières de super-market. La soute des moins que rien est plus profonde. Il semble, toute drapée d’ignorance et de silence, qu’elle puisse descendre si bas qu’on finira par retrouver les cavernes puantes du père Hugo. Vieille et connue leçon, les temps ne changent pas, les apparences seulement, le concept de Progrès est un leurre d’église.

 

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Mais qu’on se le dise aussi (soit écrit en passant, je me demande bien entre qui et qui), ce compagnonnage fut une superbe expérience que je saurais trop recommander, avec des bonheurs inattendus, ces hommes, la mer elle-même, le petit tête à tête avec soi sans égotisme excessif, des beautés d’éléments, la pèche de l’équipage dans les ports et qui s’achève en soupe chinoise comme un festin volé…

Et, le fait est, de descendre pour se la couler douce à Valpo ne met pas l’aise, on sait bien que c’est la marque la plus claire de l’abandon de ceux qui continuent, qu’on leur balance ainsi dans les gencives leur tenace impuissance.

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7 mars 2010 7 07 /03 /mars /2010 21:06

IMG_1960.JPGFinalement, on verra Valparaiso.

Après trois jours d’une mer de plus en plus houleuse, sans autres informations que celle qui nous était parvenue une demi-heure avant de quitter Callao, celle d’une nouvelle réplique forte du tremblement de terre — 7.7 Richter — au Nord de Conception déjà effondrée, le sentiment général était que nous allions vers la découverte d’un désastre.

Au milieu de la journée, les nuages bas qui ne nous quittaient pas depuis la veille, se transformèrent en une brume de plus en plus épaisse. Lorsque le Cap Pasado ralentit l’allure de moitié, puis plus lentement encore, nous sûmes que nous approchions de la Valparaiso, on ne voyait pas à cent mètres. Ici et là, des fantômes de cargos surgissaient, mais pas de côte. Finalement on stoppa.

Sur la droite, au raz de l’eau apparurent des grues et des bâtiments industriels. Et puis, comme dans un enchantement, sans même un coup de vent mais seulement sou l’effet du soleil, la brume se mit à courir vers le large. On était au cœur de la baie, à cinq cent mètres de la rive, devant le grand spectacle de Valparaiso. Et on eut beau scruter à la jumelle, tout ce qu’on vit, ce furent des voiliers tirant déjà des bords, des gens courant sur les plages de Val de Peña, une mollesse de bord de mer. Pas un effondrement, les docks chargés de containers, des cargos déchargeant et un yacht Français (Le Diamant) occupant la première place de l’ancrage.

Et le téléphone marchait…

De traces de tsunami, de tremblement de terre, aucunes visibles à l’œil nu. Peut-être est-ce moins riant à terre que vue de mer, mais il faudra s’approcher pour le savoir.

Trois quart d’heure après, les agents de l’immigrations sont à bord et nous assurent que tout va bien, mais oui, pas de problème !

Donc on décide de descendre comme prévu. Mais comme toute les choses de la mer sont lente sauf les bateaux, nous attendons encore, ce matin l’autorisation d’accoster. Le capitaine, qui s’est décoincé depuis le Canal de Panama (on reparlera de Panama et de bien d’autres choses) me regarde en rigolant. Me dit dans son anglo-russe grognon : « Vous pourrez raconter ce que ça fait, un capitaine : ça attend. »

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Bon, on est bien heureux que Valparaiso soit épargné et de pouvoir aller y traîner sans complexe son humeur. Mais l’aventure me fais songer à la construction des rumeurs et des fables. Un bateau est un petit village clos avec de faibles informations venues de l’extérieur et, la plus part du temps, sans information du tout.

On y vit sur la courbe du monde comme nulle part ailleurs et on est hors du monde. Les éléments y sont la vie, pas les affaires des hommes. Il suffit de peu pour faire courir l’imagination. Quelques mots terribles : tsunami, tremblement de terre. Et, enfin le pire: « On arrive plus à les joindre ! ». La confusion des non-ordres et des bribes de réalité remplissait les vides : nous allions sans avoir chargé à Callao, nous allions sans savoir si jamais nous pourrions accoster parmi les décombres. On allait parce que 66 000 milles tonnes de ferraille ne traversent pas les océans pendant un mois pour ne rien faire. À chaque repas ( assez immondes, soit dit en passant), le capitaine s’asseyait et lançait avec la grimace de celui qui a dompté les incertitudes depuis longtemps : « No information ! No information ! ». Donc, s’il n’y en avait pas, elles étaient les pires.

C’est cette mécanique qui a dû engendrer les plus belles fables des villages, les grands délires du monde.

J’en serais assez jaloux.

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Au soir, intacte donc et indifférentes des malheurs proches du sud : la dentelle de Valparaiso nocturne, vue de la mer. Une merveille

Il n’y a rien d’autre à dire : on peut faire un mois de mer pour seulement voir ça.

 

 

Bien sûr, tout cela laisse aussi le temps de quelques lectures. Dans le Journal d’Edmond de Concourt pour les années 1878-84 (journal en solo près la mort de son frère), qui commence par ces mots : « Voilà quarante ans que je cherche à dire la vérité dans le roman, dans l’histoire et le reste », et qui IMG_1979.JPGse lit assez comme on parcourt un musée, cette note du 20 septembre 1879 : « Je dîne avec Flaubert qui fait ses malles à Saint Gracien et qui me parle en avalanche de ses projets littéraires : « Oui, j’ai encore deux chapitres à écrire… le premier sera fini en janvier, le second je l’aurais terminé à la fin de mars ou d’avril. Et mon volume paraîtra au commencent de 1881… je me mets aussitôt à un volume de contes {…} après cela je veux essayer une tentative originale… prendre deux ou trois familles rouennaises avant la révolution et les mener à ces temps-ci […] cela m’amusera de l’écrire en dialogues avec des mises en scènes très détaillées… Puis mon grand roman sur l’Empire. Mais avant tout, mon vieux, je veux me débarrasser d’une chose qui m’obsède ! Oui, Nom de Dieu, qui m’obsède ! C’est ma bataille des Thermopyles… »

Et il y en a comme ça toute une page encore !

Et on rigole parce qu’on est content de retrouver là la bonne vieille méthode des plannings délirants, le jeux fabuleux des milles et uns projets, nos tsunamis espérés de puissance créative qui bâtissent dans nos têtes l’œuvre véritable pour laquelle les pages réalisées ne sont, même chez un Flaubert qui aurait pourtant tout accomplit déja, que de simples barreaux d’échelle mais pas un faîte. 

Sauf qu’en ce cas, les chapitres que Flaubert doit achever sont ceux de Bouvard et Péchuchet. Il les fera à temps prévu, le bouquin paraîtra bel et bien en 1881. Pour le reste, on en restera à l’imaginaire. Car en mai 1880, après le dernier chapitre de Bouvard et Péchuchet, il n’y a rien d’autre d’écrit que la mort.

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3 mars 2010 3 03 /03 /mars /2010 21:59

Juste avant dequitter Callao la tres mauvaise nouvelle Les cotes chiliennes a nouveau en desastre: une replique aussi puissante que la premiere vague. On prend la mer pour Valparaiso sans savoir ce que nous pourrons y faire.

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3 mars 2010 3 03 /03 /mars /2010 19:45


Donc apres des incertitudes, nous repartons pour Valparaiso, sans trop savoir ce que nous allons trouver. Il parait qu'il y a dans les containers des produits desormais utiles... Nous y seront le 7-03. S'il est possible, j'y poserait mon sac. Au moins un effet positif de ce desastre, quelques officiers commencent a parler. La premier chose qu'ils disent c'est que d'etre marin sur des bateau comme le Cap Pasado n'a plus aucun interet. " Il faut etre Russe ou Ukrainien pour faire ce boulot, ou Philippin: venir d'un pays en desastre permanent, sinon meme la paie ne vaut pas la peine!" Et le fait est, tout le monde vit ici comme un scarabe, en arrondissant la carapace pour supporter ( pendant 4 ou 6 mois) une vie qui en est si peu une. Et donc peut-etre depuis Valparaiso je pourrais raconter le canal de Panama, et d'autres petites choses qui ne sont pas que des horreurs, histoire d'essayer d'appliquer cette maxime de De Quincey: " Conter toute l'histoire du monde arrachee au dieu ennuyeux des evenements". Je doutes que les chiliens soient deja de cette humeur.

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3 mars 2010 3 03 /03 /mars /2010 19:16

Rien n'est plus ennuyeux que de regarder l'ocean pendant des heures, surtout quand il est en paix, il y a tres peu à voir, ou tout le temps la même énormité, répétitive, lassante jusque dans ses menues variations, et cependant il est rare que l'on s'accorde autant à regarder ce que l'on a deja tant vu, que l'on se donne le goût de le scruter dans ses plis minuscules, jusqu'à cette curieuse ivresse où le temps n'est plus un calcul, un avant et un après, alors l'ennui devient un doux accompagnement, une tendresse de l'immensite qui nous offre un peu de son goût et, peut-être,   le ballant du corps et de l'attention nous replongent-ils dans de très anciens souvenirs, inconscients ou à peine constitués, lorsque tout juste enfant et naissant on était bercé par la même immensité, la même découverte de l'infini qui allait devenir notre monde, avec lequel nous luttons encore car, dès que cesse l'océan, nous revient l'illusion de la puissance et de la victoire sur le temps.


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3 mars 2010 3 03 /03 /mars /2010 18:53


Lima, brume et connexion. On ne peut pas dire que ce blog s'illustre par sa regularite et, desormais plus nous seront pres de Valparaiso, plus ce sera pire. Nous avons appris la catastrophe a Buenaventura, le port minuscule et pauvre de Bogota. Pas la pauvrete lepreuse de Colomb, qui est une decheance, mais celle, devenue une longue habitude, depuis que Pizzaro, il y a plus de cinq siecles s'est arrete pour y deguster des vers de bois (selon les chroniques, les meilleurs qu'il ait manges) Buenaventura est minuscule: un long bidonville de toles rouillees, une poignee d'immeubles defraichis, une dizaine de rues a angles droit aux trottoirs recouverts d'etalage de produits chinois aux couleurs suspectes et des vendeurs de tombola. Le reve de la richesse est d'une patience infinie et, tous les cinquantes metres, il fait au moins vivoter une bouche. A l'extremite du croisillon de rues, on entre dans ce qui ressemble a un parc d'attractions sans les attractions. Il reste le bord de mer un peu crade, des dizaines de barraques ou boire un Colombo ( jus de fraise, glacon, eau gazeuze) ou de la biere et mangeant une mangue dans un verre de plastique. La plupart n'en ont pas les moyens mais la moitie de la ville est la " a los cinqo de la tarde" car la musique ( cubaine) y va a fond et danser avec un enfant dans les bras ne coute encore rien. Les gens rigolent et parlent volontiers des qu'on use un peu d'espagnol. C'est la que quelqu'un m' apprit le tremblement de terre. On en etait encore a 200 morts. Comme dit Balzac par la bouche de Vautrin : "Quel mal que l'on dise du monde, croit-le".

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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 22:31

 



On n'a pas vu Cartagena mais on a vu Colomb. Peut-être le nom de la ville, pour avoir été glorieux, n'était-il pas de si bon augure. Lorsque Colomb, après bien des tentatives, est parvenu ici, sans se douter qu'un jour il y naîtrait la ligne liquide (30 m de large) de séparation des deux Ameriques, le Génois était à bout de souffle. Il a vu la forêt et a su qu'il ne la vaincrait jamais. Pour ça, il a fallu attendre deux vrais durs, deux cruels sans scrupule: Pizarro et Almagro ( 100 ans eux deux alors). Ces deux là ont litteralement marché sur les cadavres quotidiennement renouvelés des esclaves pour réaliser leur obsession: aller voir au fond de la forêt si la mer y était (et s'il y coulait de l'or,
ien sûr).

IMG_1717.JPG Les descendants des esclaves survivants ( qui furent aussi les premiers à se révolter contre les Espagnols) sont toujours là. Ce sont les habitants de Colomb. Une ville dans un état de delabrement comme on en voit rarerement. La pauvreté y pue dans toute son horreur, et, pour une fois, elle ne fait exception dans aucune rue. Pourtant, la première écluse du canal est à 5 km. Chaque bateau paie un droit de passage 55 000 dollars. Un bateau entre dans les écluses toutes les demie heures... Ou va le fric? Finalement, les flics, armés jusqu'aux dents, m'ont mis dans un taxi pour que je ne reste pas dans le centre ville ( j'étais devant la vieille cathédrale qui ressemble aujourd'hui à une grosse chatte lepreuse.) Selon eux, le quartier a son lot quotidien de balles perdues, les étrangers étant d'excellentes cibles collatérales. Une chance, j'avais eu le temps d'acheter quelques fruits au marché. Dans un sourire, la vendeuse de coco m'avait conseillé de pas trainer. Je l'avais crue un peu excessive. En rentrant sur le bateau ( qui a désormais le goût du "à la maison", je lis cette phrase de Citati: " Que signifie raconter? (...) entrelacer chaque fil de notre histoire avec les autres fils du monde. Aucune activite humaine n'est plus interminable." Le fait est.
 
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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 03:18

Salut depuis l'iphone (excusez la presentation, pas d'accent, etc) et Santo Domingo. Qu'on se rassure, je ne verrai rien d'autre que le port, le remuement excédé des machines. Arrivés a 22 h, nous repartirons à l'aube. J' ai oublié, avant de partir, la loi n 1 des cargos: le plus vite possible. Ça donne 26000 tonnes lancées à 18,6 nd dans un Atlantique où les creux faisaient de jolies bosses (oui) de 10m, quand les cabines se contentaient de 5m de gite. Pas grand chose résiste à l'attraction terrestre. Ca n'a duré que 5 jours (avec les nuits) mais même à plus petites doses, on ne tiendra son stylo qu'en arrivant aux Caraibes. L'équipage fait un double aller retour, soit 4 mois, avant de poser le pied deux fois de suite a terre. Le bruit n'est pas mal non plus (140 db en salles des machines qui s'étage sur cinq ponts - il y fait aussi 37° C en ce moment). Comme on voit, j'apprends plein de choses, j ai vu quelques dauphins et beaucoup de poissons volants. Ils ont une manière bien à eux de passer les vagues, comme si ca ne devait jamais finir. Le capitaine ( et tous les officiers) est ( sont) Russe(s). Pour le Master, c'est le dernier tour (Valparaiso /Tilbury) apres 40 ans de navigation. Le bougonnement est sa langue la mieux maîIMG_1413.JPGtrisée. Les connexions internets ne sont pas plus fluides ,ce qui va rendre ce blog silencieux jusqu'a Valparaiso ou je vais faire une halte plus longue que prévue, d'ici là, les lectures seront nombreuses ( quoi faire pendant les vagues?)

 
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